L’innovation en AMP est-elle seulement technologique ?

Comment définir l’innovation ?

L’innovation au sens littéral du terme est définie par l’action d’innover, d’introduire une nouvelle chose, du changement, de la nouveauté². Pour l’INSEE qui se base sur la définition de l’OCDE, l’innovation désigne l’introduction sur le marché d’un produit ou d’un procédé nouveau ou significativement amélioré par rapport à ceux précédemment élaborés ce qui aboutit à distinguer l’innovation de produits et l’innovation de services³. Pour d’autres, l’innovation se distingue de l’invention par son adoption au niveau social⁴. Selon cette approche toute nouveauté ne pourrait ainsi prétendre au statut d’innovation que si elle dépasse son statut de produit ou de service pour atteindre le statut d’innovation sociale, c’est-à-dire accessible et adoptable pour le plus grand nombre, transformant les structures sociales et les rapports sociaux et permettant de résoudre des problématiques anciennes grâce à des solutions nouvelles⁴.

Dans le domaine de la santé, l’innovation permet de dessiner la médecine de demain et de placer le patient au coeur des actions en s’appuyant sur des technologies telles que la robotique chirurgicale, les objets connectés, la télémédecine mais aussi sur de nouvelles organisations de prises en charge et le soutien des changements de comportements⁵.

L’Assistance Médicale à la Procréation, une innovation en soi ?

L’Assistance Médicale à la Procréation (AMP) se définit au niveau international comme une nouvelle technique de reproduction⁴. En réalité et si l’on se réfère aux définitions énoncées précédemment, l’AMP fait figure d’innovation en soi puisqu’en apportant des réponses à des besoins médicaux non couverts, elle transforme de facto la société en contribuant à de nouvelles naissances. En outre, si l’on considère le parcours d’AMP dans sa globalité, on constate que l’innovation peut être présente à toutes les étapes du parcours, de l’analyse prédictive du taux de succès de la FIV jusqu’au transfert d’embryons, en passant par la cryoconservation.^6,7 Ces étapes, très techniques, peuvent laisser penser que l’innovation en AMP ne peut être que technologique, axée sur les nouveaux traitements, l’utilisation de la robotique, de la microfluidique voire de l’Intelligence Artificielle (IA) notamment pour sélectionner l'embryon de meilleure qualité afin d'augmenter les chances de succès.^6,8

Toutefois l’AMP doit faire face à des enjeux particulièrement complexes qui s’intéressent à la fois à la recherche et au développement de technologies toujours plus efficaces et le moins invasives possibles mais qui doivent tenir compte de l’approche et de l’accompagnement humain.

Un défi humain à relever

En France, avec 10% de couples infertiles, des protocoles médicaux qui vont crescendo et des chances de réussites variables, l’Assistance Médicale à la Procréation est un parcours semé d’embûches qui représente également un défi humain⁹. Entre les effets indésirables potentiels des traitements, l’intimité bouleversée, la maladresse éventuelle des proches, les candidat.e.s à la parentalité, qu’elles soient seules ou en couple, doivent faire face à des difficultés qu’elles/qu’ils n’avaient pas anticipé. Les professionnels de santé doivent de leur côté répondre à des besoins qui dépassent souvent le cadre de la pratique purement médicale du parcours et proposer un accompagnement psychologique personnalisé qui devra s’adapter aux patientes et/ou aux couples. Cet accompagnement concerne tous les professionnels de santé impliqués dans le parcours de soins et pas seulement les psychologues¹⁰. Si l’on considère que cette aide psychologique lorsqu’elle est proposée est trop souvent refusée par les patientes et/ou les couples engagés dans l’AMP¹⁰, il y a là un besoin non couvert que l’innovation pourrait permettre de combler.

Des besoins exprimés par les professionnels de santé

En France, les récentes évolutions législatives ont renforcé le rôle sociétal de l’AMP. La dernière révision de la loi de bioéthique permet à toutes les femmes qu’elles soient seules, en couple avec un homme ou une femme d’accéder à l’assistance médicale à la procréation¹⁰. L’autoconservation de gamètes devient également possible¹¹. L’élargissement de ce champ a pour conséquence une croissance importante des demandes de l’ordre de près de 30 000 pour une première consultation en AMP de la part de femmes seules ou en couples de femmes, une augmentation de 85 % des premières tentatives¹². Cela se traduit par un allongement du délai de prise en charge puisque ce dernier est de 15,8 mois pour une AMP avec don de spermatozoïdes¹¹. Par ailleurs, si les demandes explosent, les dons quant à eux restent stables générant des difficultés à répondre aux attentes des candidates à l’AMP¹². Cette évolution sociétale est un facteur de disruption dans les parcours et dans les pratiques, générant de nouveaux besoins de la part des professionnels de santé tant matériels, qu’administratifs ou tout simplement d’un point de vue humain. Une disruption à laquelle seules diverses formes d’innovation pourront répondre.

Le parcours d’AMP est par essence pluridisciplinaire. Il fait intervenir des composantes techniques, humaines, pratiques, législatives et sociétales. Les récentes dispositions de la loi de bioéthique ont fait émerger de nouveaux besoins auxquels la seule technologie ne pourra probablement pas répondre.

Références :

1. Le quotidien du médecin. Naissance de Louise Brown, le premier bébé-éprouvette. 28/12/2015. Accessible sur : https://www.lequotidiendumedecin.fr/actu-medicale/naissance-de- louise-brown-le-premier-bebe-eprouvette. Consulté le 13/05/2024.
2. Définition du dictionnaire Le Robert. Accessible sur https://dictionnaire.lerobert.com/definition/innovation. Consulté le 28/02/2024.
3. Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques. Définitions, méthode et qualité : Innovation. Accessible sur https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1182. Consulté le 28/02/2024.
4. Bonnet D. L’assistance médicale à la procréation en Afrique subsaharienne est-elle une innovation sociale ? Presses universitaires de Rennes.
5. L’innovation en santé : l’engagement des agences régionales de santé. Accessible sur https://www.ars.sante.fr/linnovation-en-sante-lengagement-des-agences-regionales-de-sante. Consulté le 10.02.24.
6. Swain J, et al. AI in the treatment of fertility: key considerations. J Assist Reprod Genet. 2020;37(11):2817-2824.
7. Sato T, et al. Radiofrequency identification tag system improves the efficiency of closed vitrification for cryopreservation and thawing of bovine ovarian tissues. J Assist Reprod Genet. 2019;36(11):2251-2257.
8. Alias A et al. A Review on Microfluidics: An Aid to Assisted Reproductive Technology. Molecules. 2021;26(4354):1-19.
9. Inserm. L’assistance médicale à la procréation. Accessible sur https://www.inserm.fr/dossier/assistance-medicale-procreation-amp/. Consulté le 29.02.2024.
10. Agence de la biomédecine. Fiche n°5 L’AMP, une médecine entre technique et psychologie.
11. Agence de la biomédecine. Accessible sur https://www.agence-biomedecine.fr/AMP-des-demandes- de-prises-en-charge-toujours-a-la-hausse-mais-des-dons. Consulté le 29.02.2024.
12. Libération. PMA pour toutes : demande exponentielle et manque de dons allongent encore les délais. Accessible sur https://www.liberation.fr/societe/sante/pma-pour-toutes-demande-exponentielle- et-manque-de-dons-allongent-encore-les-delais- 20231215_YJWYYNZVU5E3HJSH7HFRFQZLEE/#:~:text=Beaucoup%20de%20demandes% 2C%20pas%20assez,de%20familles%20de%20certaines%20femmes. Consulté le 29.02.2024.